Le Cervin (Matterhorn) - alt. 4.478 m
Résumé, commentaires et impressions sur cette traversée effectuée en juillet 2004
Quand le rêve devient réalité : relier à pied les deux lieux mythiques de l'alpinisme.
Voilà comment sur une (bonne) idée de Patrick, mon ami, montagnard et collègue de travail, nous nous retrouvons au matin du 27 juin 2004 devant la gare de départ de la télécabine du
Tour-Charamillon à faire connaissance avec nos futurs compagnons de cordée (Fred et un couple Isabelle et Christophe) et à attendre le guide d'une Compagnie Haut-Savoyarde réputée auprès de
laquelle nous nous étions inscrits pour cette traversée.
Lorsque JBB (dit Jibé dans la vallée) arrivera, nous aura fait éliminer de nos sacs volumineux tout le superflu (l'essentiel des vêtements de rechange et du nécessaire de toilette, inutile selon
lui du fait de l'absence d'eau dans les refuges d'altitude!), aura réparti le matériel commun (cordes, quincaillerie) et l'intendance, nous comprendrons mieux l'avantage du statut de guide en
comparant la taille et le poids de nos sacs!
Celà dit, le premier contact est très sympathique et nous voilà partis pour 6 jours, pour le meilleur pensons-nous, puisque la météo, assez capricieuse jusque-là, nous promet une "fenêtre"
plus clémente pendant une semaine.
J 1 : Charamillon - Refuge Albert 1°
Montée au Refuge Albert 1° - Séracs du Glacier du Tour
Etape de "mise en jambes" puisqu'après les deux tronçons de la télécabine, l'accès au Refuge Albert 1° (alt. 2.702 m) ne représente qu'une courte montée (dénivelée 507 m)
Premier contact avec la neige en remontant le névé sur la rive droite du Glacier du Tour qui nous offre une vue saisissante sur ses séracs et sa langue terminale avec de beaux effets de lumière sur
fond de ciel orageux.
Au cours de la montée, une marmotte aussi curieuse qu'affamée viendra nous saluer vers 2.600 m et quelques japonais nous croisent avec un "bonsoir" parfait en se hâtant de redescendre car,
comme d'habitude, leur programme quotidien est chargé!
Le refuge Albert 1° est encore un refuge "à l'ancienne" et n'offre pas le "confort "que l'on rencontre maintenant aux points de passage très fréquentés en France, en Suisse et en Italie, mais
heureusement le repas du soir sort de l'ordinaire (soupe, sauté de lapin aux olives et riz) et nous permet de continuer à faire provision d'énergie pour les jours à venir.
Dénivelée : + 507 m
Temps de marche : 1 h 30
J 2 : Refuge Albert 1° - Cabane Chanrion
Le Grand Charmotane (depuis la Cabane d'Orny)
L'étape "traditionnelle" prévoit une halte à la cabane du Trient mais, bien qu'elle nous prive d'une nuit sur le plateau du Trient, celle-ci présente l'inconvénient d'être courte (4h 30) et de
rajouter une journée au programme pour rallier Zermatt.
Notre feuille de route évite donc l'arrêt à Trient et prévoit de rejoindre directement la Cabane Chanrion.
A la lumière de nos frontales, nous nous engageons sur le Glacier du Tour pour cette longue étape qui doit nous conduire de l'autre côté du Val Ferret Suisse. La neige est dure et le ciel rempli
d'étoiles nous annonce une journée magnifique.
Après avoir contourné le Signal Reilly par la gauche, nous traversons le Glacier vers 3.000 m pour nous engager dans le couloir, sous l'Aiguille du Col du Tour, qui conduit au Col Supérieur du Tour
(alt. 3.289 m). Ce passage permet de franchir la longue chaîne qui court de la Pointe des Grands à l'Aiguille d'Argentière et qui sépare les bassins glaciaires du Tour (France) et du Trient
(Suisse)
Du Col nous découvrons l'immense plateau glaciaire du Trient et la beauté du panorama bordé à droite par les Aiguilles Dorées qui, sous le soleil levant, méritent bien leur nom.
Après avoir traversé le plateau en direction de la Cabane du Trient et du Col d'Orny, nous descendons sur la rive gauche du Glacier d'Orny pour une pause casse-croûte à la Cabane éponyme,
fidèlement gardée par le bouquetin de bronze scellé face au Petit-Clocher du Pourtalet.
Le sentier de détache progressivement du glacier et mène NE (passages escarpés, chaînes en place) vers la station supérieure du télésiège de la Breya (alt. 2.189 m) qui nous permet de rejoindre
Champex en ménageant nos genoux.
A Champex, nous retrouvons brutalement la civilisation et le taxi nous attend pour nous emmener à proximité de Chanrion en passant par le barrage de Mauvoisin. La piste à voie unique surplombe le
vide en permanence et nous ne serons pas très rassurés lorsque notre chauffeur entreprendra une marche arrière pour laisser le passage à un véhicule de la voirie suisse.
Accueil sympathique au Refuge Chanrion, environnement superbe (Lac de Chanrion, Grand Combin de Tsessette alt. 4.314 m)
Dénivelées : + 587 m, - 1.099 m
Temps de marche : 6 h
J 3 : Cabane Chanrion - Cabane des Vignettes
Glacier d'Otemma (en route vers la Cabane des Vignettes)
Au petit matin, Jibé nous gratifiera de son premier "bon, moi je suis prêt!" qu'il s'entêtera à nous répéter chaque matin
sans jamais parvenir à activer nos préparatifs, le rangement de nos sacs et notre mise en route avant l'heure prévue.
Nous quittons le refuge en direction du Lac puis obliquons sur la gauche et prenons rapidement pied sur le Glacier d'Otemma près de son front de fonte et de son torrent sous-glaciaire.
Nous remontons les 7 km de ce magnifique glacier, peu crevassé, qui s'écoule (25 cm/jour dit-on) entre les crêtes très découpées qui marquent la frontière italienne (Grand Blanchen alt. 3.678 m,
Singla alt. 3.714 m) et le relief moins tourmenté de la Chaîne des Portons, coté Suisse.
Nous nous sentons infiniment petits face à l'immensité de ce glacier, sans aucun relief jusqu'au Col d'Otemma, et sur lequel le cheminement doit s'avérer compliqué en cas de brouillard ou de
mauvais temps (GPS bienvenu). Heureusement ce n'est pas le cas et le soleil nous accompagne.
Nous obliquons à gauche (montée courte mais soutenue et en devers) pour atteindre le vaste replat du Col de Chermontane, sous le Pigne d'Arolla (alt. 3.796 m) et ses énormes séracs pour prendre
pied à droite sur l'arête rocheuse qui conduit à la Cabane des Vignettes (alt. 3.147 m)
Railleries de Jibé face au peu d'aisance que manifestent certains sur l'arête, pourtant sans difficulté, mais les plus aguerris doivent suivre le rythme des moins téméraires (solidairement
encordés, il nous serait difficile de faire autrement)
Perchée sur son promontoire, au bord des abîmes impressionnants qui surplombent le Glacier de Vuibé (ne pas craindre le vertige pour aller aux toilettes!), la Cabane des Vignettes nous
a offert un accueil très chaleureux et un confort parfait (petits dortoirs, couettes et couchages douillets). La toilette avec l'eau en prise directe du Glacier (température revivifiante
d'environ 2°) a été bienvenue mais rapide!
Excellent repas (soupe de légumes, émincé de volaille, champignons et carottes à la crème, riz) arrosé d'un reconstituant "Fendant du Valais". Autant dire que nous sommes sortis avec regret de
notre douce couette le lendemain matin mais après un petit-déjeuner "royal" (pancakes, confitures et pain à volonté) nous avons repris notre chemin pour la longue étape du jour qui doit nous mener
à la cabane Bertol (que nous devinons de l'autre côté de la vallée au pied de l'arête nord de la Dent Blanche)
Dénivelées : + 830 m, - 135 m
Temps de marche : 7 h
J 4 : Cabane des Vignettes - Cabane Bertol
Glacier du Mont-Miné
Lever 4 h 30. Contrairement aux prévisions, le ciel est clair en dépit de quelques nuages d'altitude. Nous nous équipons
(crampons, piolet) pour la courte descente jusqu'au Col de Chermontane (alt. 3.053 m) puis nous partons pour la longue traversée du Glacier du Mont-Collon jusqu'au Col de l'Evêque (alt. 3.386
m)
Nous nous rendons compte que nous sommes complétement isolés du monde et nous savourons tous intérieurement ce silence et ce grand bonheur de nous trouver dans un environnement aussi somptueux.
Nous entamons la fastidieuse descente (glace, moraine puis sentier) du Glacier d'Arolla jusqu'à la côte 2.520 m (Plans de Bertol) puis remontons la moraine à l'aplomb des Dents de Bertol. Nous
pressons le pas car les nuages se font de plus en plus menaçants et nous arriverons fatigués mais secs à la Cabane Bertol (alt. 3.311 m) magnifique construction de forme hexagonale (un des plus
beaux refuges des Alpes) juchée sur son promontoire rocheux, que l'on atteint par une série d'échelles impressionnantes.
Arrivés tôt (14 h 45) nous sommes accueillis avec un réconfortant thé citron-cannelle et nous passerons l'a-m à flâner et à discuter après une toilette sommaire (lingettes et autres gants jetables)
faute d'eau à cette altitude (l'eau récupérée du toit n'était vraiment pas engageante!)
En fin de soirée, nous aurons la chance d'apercevoir au loin le coucher de soleil sur le Cervin et nous nous disons que nous avons encore du chemin à parcourir.
Après 4 jours de marche, nous sommes tous en bonne forme sauf Isabelle dont les pieds ont souffert et nécessitent force "Compeed" à l'arrivée au refuge.
Dénivelées : + 1.111 m, - 950 m
Temps de marche : 8 h
J 5 : Cabane Bertol - Cabane Schönbiel
Dent d'Hérens
Lever 4 h 30. Le temps est beau mais, à la suite des orages d'hier au soir, la brume commence à remonter des vallées.
Dans son ouvrage "La Haute Route", F. Perraudin qualifie cette étape de "royale". Il est vrai que la perspective de découvrir au fil de l'étape les principaux 4.000 des Alpes Valaisannes
(Weisshorn, Alphubel, Lyskam, Breithorn, Castor et Pollux, etc) nous ravit mais pour l'heure, avant la contemplation, il s'agit de traverser le Glacier du Mont Miné, souvent crevassé, puis
d'atteindre le sommet de Tête-Blanche.
Depuis le Col de Bertol, l'itinéraire suit la ligne de pente jusqu'au pied de l'arête N des Dents de Bertol puis s'élève dans une combe plus pentue jusqu'au plateau qui permet un accès aisé au
sommet de Tête-Blanche (alt. 3.724 m)
La brume montante nous a accompagnés tout au long de notre ascension mais par chance le soleil perce au sommet et la vue sur la Dent d'Hérens et les séracs de sa face N ainsi que sur la face O du
Cervin est sublime.
L'itinéraire de descente plonge vers le Col de Tête-Blanche puis rejoint le Glacier de Stockji après un large virage sur la droite direction S.
La descente du Stockji est magnifique, le soleil bien présent, le glacier assez peu crevassé mais parfois d'énormes séracs inclinés de manière inquiétante nous invitent à ne pas traîner.
Vers la côte 3.050 m, nous quittons le glacier pour rejoindre l'éperon des Rochers de Stockji que nous descendons plein S jusqu'à l'extrémité de la moraine latérale du Glacier de Tiefmatt (alt.
2.624 m)
A la jonction des Glaciers de Tiefmatt et de Zmutt(alt. 2.520 m), nous contournons le Stockji (alt. 3091 m) par la droite, descendons sur le Glacier de Zmutt puis remontons N la langue
terminale parfaitement lisse du Glacier de Schönbiel que nous quittons pour escalader à droite l'épaule rocheuse par le passage aérien (repères rouges) qui mène au Refuge Schönbiel (alt.
2.694 m)
La hauteur des moraines est impressionnante et donnent une idée de l'épaisseur de glace qui pouvait être relevée à cet endroit dans le passé.
A la terrasse du refuge, avec l'extraordinaire spectacle de la face N du Cervin sous les yeux, nous savourons ces derniers moments passés en haute montagne puisque le lendemain nous rejoindrons
Zermatt.
L'eau de la fontaine (très fraîche!) nous permet de retrouver une allure plus présentable pour aborder la "Ville" demain et nous gagnons rapidement la couette après un solide repas, arrosé comme il
se doit.
Dénivelées : + 620 m, - 1.224 m
Temps de marche : 7 h
J 6 : Cabane Schönbiel - Zermatt
Le Cervin
Nous partons pour cette dernière étape un peu tristes car notre belle aventure se termine.
Après un parcours facile sur la crête de la longue moraine du Glacier de Zmutt que l'on suit jusqu'au torrent de l'Arben, le sentier traverse une forêt de mélèzes puis débouche dans les alpages qui
ont conservé nombre de mazots sur pilotis et aux toits de lauzes, parfaitement entretenus.
Au fil de la descente nous découvrons l'impressionnante face S de l'Obergabelhorn (alt. 4.063 m) puis la pyramide sommitale (face E) du Cervin alors que nous jetons un dernier regard sur
Tête-Blanche et le Glacier du Stockji.
La foule des randonneurs puis les rues encombrées de Zermatt (jour du Marathon) nous arrachent à nos souvenirs "blancs" et nous font rapidement reprendre contact avec la "civilisation".
Nous avons bouclé la Haute Route; après cette semaine de silence et de beauté, le train, la voiture...et la reprise du travail nous attendent, il faut se résigner!
Dénivelée : - 1.090 m
Temps de marche : 3 h 30
Conclusion
La Haute Route ne demande pas de compétence technique particulière autre que celle d'être capable de marcher de 5 à 8 h par jour pendant une semaine, la plupart du temps en crampons et
encordé. A défaut d'être familiarisé avec le parcours qui se déroule, rappelons-le, en haute montagne, le recours à un guide professionnel est fortement recommandé.
Nous avons passé une semaine formidable, avec un temps magnifique, dans un environnement fabuleux.
Merci à Patrick (sans qui ce périple ne serait resté qu'un rêve) pour sa précieuse amitié.
Merci à Fred d'avoir eu la bonne idée d'être là, pour les courses, les beaux souvenirs qui s'y rapportent et l'amitié que nous avons pu partager depuis
Merci à tous mes compagnons de cordée pour leur bonne humeur et leur sympathie et mercis particuliers à Jibé pour sa compétence.
A la Cabane Schönbiel devant le Cervin